On me demande, dans un appel d’offre d’étude urbaine que je suis en train de rédiger, de parler de résilience et de qualité de vie. Je me demande ce que c’est. J’étudie la question. J’y répond. Je me relis. Ça n’est pas très vendeur. Je jette  ? Non, j’enlève et je déplace ci-dessous. On peut tout écrire quand on n’est pas lu.

À l’exceptions d’assez nombreux courants doloristes, conférant à la souffrance une valeur morale, l’humanité a très généralement recherché une vie bonne et durable  ; cette recherche n’est pas nouvelle. Mais deux expressions d’usages assez récents, «  qualité de vie  » et «  résilience  », confèrent à notre éternelle recherche une certaine actualité.

La «  qualité de vie  » devient d’usage courant dans les années 70, pour pondérer la quête d’un certain «  niveau de vie  » strictement quantifiable, maître mot des trente glorieuses. La qualité est plus noble que la quantité, n’est-ce-pas  ? Mais chassez la quantité, elle revient au galop  : dans le monde moderne, la qualité a toujours pour vocation à être quantifiée, comme dans l’Indice de développement humain (IDH, 1990), par exemple. En sorte que l’expression «  qualité de vie  » acquière un double sens. Tantôt c’est un synonyme élargi du «  niveau de vie  », quantifiant un plus grand nombre de biens et services, mesurés et pondérés par des coefficients arbitraires, forcément arbitraire quand on additionne des carottes et des navets. Tantôt la «  qualité de vie  » désigne le contraire du «  niveau de vie  », un certain sentiment de plaisir, de confort et de sécurité. L’expression est une notion glissante, passant sans à-coup du noir au blanc. À ce titre elle est particulièrement utile dans les négociations salariales  : «  vous ne travaillerez pas plus, vous travaillerez mieux  »…

La «  résilience  », formalisée au dix-neuvième siècle (Thomas Tredgold, 1824), est issue de la physique (Francis Bacon, 1626), passée à la morale (Henry More,1668), avant d’entrer en psychologie (Emmy Werner, 1954) comme capacité de rebond face à l’épreuve – ce qui n’est pas très éloigné de son sens physique. En France, la «  résilience  » n’est devenu d’usage courant qu’au début du vingtième siècle et y désigne à peu près tout ce qui va du chêne et du roseau (La Fontaine, 1668) au crépuscule des idoles (Nietzche, 1888)  : «  Je plie, et ne romps pas  »  ; «  ce qui ne me tue pas me rend plus fort  »  ; même pas mal  !

Face à de certaines agitations du monde qui vient et à la probable frugalité de nos vies futures, la résilience (de sens commun) présuppose un retour à la normale – élastique, le roseau revient à son état initial après qu’il a plié – ou mieux encore, à un dépassement – l’épreuve m’affermira (ce qui, pour le coup, excède la résilience physique et confine à la superstition de Mithridate). C’est dire que la pollution, l’épuisement des sols, la pénurie de matières premières et d’énergie, le réchauffement climatique et toutes les calamités qui s’ensuivront, n’entameront pas notre bonne humeur, et même, la renforceront après que l’épreuve ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Demain, nous en riront de bon cœur…

Ce programme se construit à l’envers de ce qu’espérait le neveu du Guépard (Tomasi di Lampedusa, 1958)  : «  Tout changer pour que tout demeure  ». Mais tandis que celui-là voulait tout changer en apparence pour sauver les meubles, on nous invite à sauver les apparences puisque tout change en réalité. Nous aurons encore une voiture (rien ne change) électrique (tout change)  ; nous vivrons dans un pavillon (rien ne change) parfaitement isolé (tout change)  ; nous mangerons des steaks (rien ne change) de soja (tout change).

Comme ce programme est haïssable il faut, pour l’aimer, utiliser une notion assez malléable, qui désigne indifféremment la réalité et l’apparence. La «  qualité de vie  » – qui peut être aussi bien un synonyme et un antonyme du «  niveau de vie  » – y pourvoit en toutes circonstances  : nous sauverons les apparences de notre «  qualité de vie  » sans avoir à nous soucier de notre «  niveau de vie  » réel, ou le contraire, c’est égal dans un monde où «  le vrai est un moment du faux  » (Debord, 1988).