Photo Paola+Murray, Casse-croute tunisien, 2022.

Depuis le début du vingtième siècle, les gens que je fréquente ont le sentiment d’être appauvris. Les plus bas salaires le sont-ils  ? Du début de ma carrière à aujourd’hui, le salaire minimum horaire net est passé, en euros courant, de 0,52€ (1971) à 9,23€ (2024), soit près de 18 fois plus. Mais comment prendre en compte l’inflation des prix, quand on se méfie des indices de l’INSEE  ? Il suffit de rapporter les revenus à une dépense quotidienne constante. Le casse-croute tunisien, par exemple, valait 0,33€ en 1971 (2,20F/6,56=0,33€)  ; il est maintenant vendu à 6,00€  ; c’est dire qu’un ouvrier spécialisé était payé 1,56 casse-croute de l’heure en 1971 (0,52/0,33), et qu’il est payé 1,54 casse-croute de l’heure en 2024 (9,23/6), à peine moins qu’il y a 54 ans.

Tout ça pour ça  : le salaire minimum français est stable depuis un demi-siècle. Il faudrait, pour rendre compte du sentiment de déclassement des cadres intermédiaires, aller fureter du côté des septièmes, huitième et neuvième déciles (un décile est un dixième de la population, classé par tranches de revenus), plus proches du deuxième décile (en gros, le SMIC) qu’il ne l’étaient en 1971. Les calculs seraient plus compliqués. Ça me tente…

En passant, le test du casse-croute démontre l’extrême fantaisie de l’INSEE, qui met en ligne un prétendu convertisseur franc/euro  : «  il permet d’exprimer, sur la période 1901-2023, le pouvoir d’achat d’une somme en euros ou en francs d’une année donnée en une somme équivalente en euros ou en francs d’une autre année, corrigée de l’inflation observée entre les deux années.  » Quoi qu’en dise l’INSEE, personne de mon âge ne peut croire que 2,20 francs 1971 valent 2,61 euros 2024. Ça valait bien plus  ! Le «  panier de consommation des ménages français  », savamment établi par l’INSEE, tenu secret, est moins fiable que mon casse-croute  ; ou mon kilo de cerise, qui passe dans le même temps de 0,30€ à 12,00€… Ce qui divise par deux le salaire minimum de 2024, par rapport à 1971. Les statisticiens compensent le désastre des frais fixes, ou en hausse, en intégrant à leur panier des produits industriels nouveaux, qui baissent après qu’ils sont produits en masse, puis en Chine. C’est imparable  : quand on ne peut plus s’offrir de cerises, on mange des puces  !

Le convertisseur franc/euro de l’INSEE